L'Art de recoller les morceaux...
Le Kintsugi
La légende
La légende prend vie au japon autour d’une cérémonie du thé ou service Japonais du thé.
Cette cérémonie est un procédé qui, lui aussi, est qualifié d’Art. Elle prend sa source autour du Bouddhisme Zen. Ici, un praticien expérimenté verse la poudre de thé vert, ou matcha en la préparant d’une manière très spécifique et selon des codes bien précis pour le servir à un groupe d’initiés.
Il fut découverte au XVème siècle au Japon.
Cette technique consiste en la réparation d’un objet brisé en rassemblant les morceaux entre eux de façon étanche (à l'aide d'une laque) et de terminer cette réparation en soulignant chaque faille avec une poudre d’or.
L’idée, vous l’avez compris, n’est pas de cacher les lignes mais bien de les révéler.
Le mot Kintsugi (金継ぎ) vient du Japonais Kin (or - 金 ) et Surgi (jointure - 結合). L’Art en lui-même est appelé le Kintsukuroi (金繕い) qui veut dire « raccommodage à l’or ».
Le procédé est rigoureux, strict, long et extrêmement précis. En dehors de ce procédé, la dextérité de l’artisan lui-même est une composante essentielle du travail. Sa concentration, son habileté et sa capacité à allier efficacité, précision et rapidité doivent être impeccables.
La réparation se déroule en plusieurs étapes, sur plusieurs semaines (qui d’ailleurs finissent parfois par se compter en mois). Quant au temps de séchage, là aussi, la patience doit être de mise. Car si l’objet semble réparé, la laque demande un temps très long pour finaliser son séchage, son placement et sa résistance, entre six mois et un an…
C’est durant cette cérémonie {appelée Chanoyu (茶の湯), ou Sado (茶道),ou encore chadō (茶道) } qu’un Shogun (将軍),{un général} du nom de Yoshimasa brisa son bol préféré. Ne voulant pas y renoncer, il l’envoya en Chine afin de le faire réparer.
Toutefois, cette réparation ne trouva pas grâce à ses yeux. Malgré de long mois d’attente pour retrouver son bol, il fut déçu par la réparation grossière et dénaturante de l’objet.
En guise de réparation, quelques vilaines agrafes qui rendirent ce bol non seulement disgracieux à ses yeux mais inutilisable car cet arrangement ne suffisait pas à rendre le bol étanche…
Il se tourna alors vers ses artisans leur demandant de travailler sur sa pièce pour la rendre esthétique et étanche.
C'est ainsi que le Kintsugi est né...
Les matériaux utilisés, s’ils sont tous naturels, sont aussi très dangereux.
En effet, la laque utilisée, appelée Urushi (漆) est très toxique et extrêmement allergène. J’ai lu que certains Maîtres Kintsugi, pour se protéger de ses effets, n’ont trouvé d’autres solutions que celle de… prier !
Le contact direct avec la peau entraîne démangeaisons et exémas durant plusieurs semaines ! C’est ainsi que nous faisons, nous artisans Kintsugi, notre baptême du feu. Quant à s’en immuniser, il faut parfois une vie entière. Mais bien sûr, d’autres plus chanceux, n’en ressentent pas ou très peu les effets.
Le contexte est également important. Cette technique nécessite un calme olympien et un environnement sans poussière, sans résidu ni particules volantes… La légende raconte d’ailleurs que les Maîtres Kintsugi se rasaient la tête et partaient en mer pour s’isoler et s’assurer qu’aucune poussière ne volerait…
Je le disais donc, ce procédé est lent et minutieux et demande à celui qui le pratique patience et concentration.
Lorsque vous avez votre objet brisé, première étape bien sûr, il faut le nettoyer très sérieusement et les rendre quasi, lui et son environnement, « stériles ». Chaque morceau, chaque pièce devront être nettoyés.
Nous travaillons avec tous les outils nécessaires à l’étape en cours. Ils seront prêts, propres, disponibles et préparés. Chaque fêlures seront enduites de l’Urushi pur pour les saturer avant la prochaine étape. Puis, immédiatement nettoyées avec un linge sans peluche (satin, soie…).
Ensuite les pièces sont rassemblées entre elles grâce à une « pâte » qui fera office de colle. C’est un mélange d’Urushi, de farine et d’eau. Chaque bordure à unir en est enduite puis les pièces sont ainsi rassemblées. Pour les morceaux manquants ou les ébréchures des poudres de bois, de roche ou encore de terre remplaceront la farine.
Après ce procédé minutieux, il faut attendre, dans des conditions spécifiques (température et taux d’humidité) environ 15 jours à 1 mois avant de passer à l’étape suivante. Les pièces seront inspectées chaque jour ainsi que les conditions ambiantes.
Le procédé qui suit est à répéter encore et encore, et ce, autant que de besoin… Et comme pour chaque étape, il faut procéder d’abord à un nettoyage minutieux de la pièce. Ensuite, avec délicatesse et précision, il faut poncer la pièce au niveau des failles rassemblées. Ce processus est à répéter jusqu’à ce que la surface devienne homogène et extrêmement plane.
C’est aussi à ce moment que les éclats et morceaux manquants seront travaillés.
Une fois les failles très planes, la pièce entièrement propre et un temps de séchage d’au moins 15 jours entre chaque procédé, ici nous pouvons peindre à l’Urushi noire.
Elle met en relief tous les défauts qui n’auront pas été repérés à l’œil nu… Donc, soit la perfection est là, soit le processus précédant est à répéter encore et encore…
Une fois les failles travaillées peintes en noire (ce qui est déjà magnifique !) elles sont peintes à l’Urushi rouge. Avant qu’elles ne sèchent, on y applique l’or en le faisant pénétrer délicatement avec du coton de soie.
Le séchage demande au moins une semaine dans les mêmes conditions que les séchages précédents et vous ne pouvez nettoyer définitivement votre pièce que quinze jours après la fin de votre réalisation.
Quant à son utilisation, si elle est alimentaire, attendez six mois à un an avant de vous en servir.
Bien évidemment, pas de lave-vaisselle… ni de micro-onde ! Tradition oblige et vous détériorerez votre pièce et votre éléctro-ménager.
Etape 1 :
Etape 2 (et 3,4,5...) :
Etape 3 :
Etape 4 :
La technique
Un Art ancestral
Au Japon, seuls l’Art et la réparation sont mis en avant.
Peu de Maîtres Kintsugi Japonais évoquent son bienfait thérapeutique et cette transposition que nous en faisons avec la résilience.
Et pourtant, en occident, nous avons plaisir à mettre cet aspect en avant.
Il faut bien admettre qu’il est aisé et poétique de transposer la réparation de l’objet à la réparation du soi : l’impact, la patience et la difficulté à recoller les morceaux après plusieurs étapes et la richesse du travail accompli en devenant plus fort, plus riche de cette expérience…
Cet Art est donc utilisé avec facilité dans notre société comme métaphore du travail sur soi. Cet Art-thérapie est parfait pour accompagner une personne à transcender ses épreuves de vie : L’or comme symbole des difficultés surmontées, et le processus de réparation comme symbole de la réparation de soi. Ici, on passe par la matière, plus simple parfois que d’avoir à parler de soi à quelqu’un ou d'entamer une démarche thérapeutique…
Le message est poétique, la démarche initiatique et vous rappellent que quelque soit votre blessure, cette philosophie, cette approche et cette énergie vous soutiennent et vous accompagnent vers la guérison.
L’intention est posée, nous nous mettons en mouvement, nous réparons, nous créons… nous guérissons…
Parce que quand je bouge, tout bouge…
La dimension thérapeutique
Lorsque le Kintsugi opère, il n’y a pas qu’en soi que nous faisons changer les choses…
Nous apportons un autre regard sur l’idée de la perfection. Elle n’est pas innée, elle le devient.
Loin de nos idéaux occidentaux de la perfection à acquérir, immédiate et presque due, ici, nous atténuons notre regard. Nous devenons plus souples, plus compréhensifs sur le travail à accomplir afin d’atteindre cette perfection. Voilà un concept qui nous fait le plus grand bien…
De plus, et même si le train semble s’être mis en marche, nous changeons aussi notre regard sur la consommation, sur le consommable, jetable, usage unique ! Cassez, brisez et réparez… ne jetons plus, laissons une nouvelle chance à nos objets, même quotidiens, d’avoir une nouvelle vie, plus belle, plus riche, plus longue !!!
Nous pouvons aujourd’hui, utiliser d’autres métaux, tout aussi beaux et étanches. Ces autres métaux (argent, bronze, cuivre…) permettent d’accéder à des réparations moins onéreuses qu’avec de l’or… Mais l’esprit perdure !